180ème Anniversaire de l’arrivée des Immigrants Indiens (fr)

Indian Immigrants In Mauritius - 1900s

Indian Immigrants In Mauritius – 1900s

Ene peuple ki pa kone so passé li couma ene puit sans delo

L’histoire de Maurice ne se réduit pas à des piles de livres sur une étagère. Elle correspond aussi au sang qui coule dans nos veines, c’est la vie qui est transmise dans nos familles, c’est la façon dont les gens vivent dans le voisinage, c’est notre façon de regarder l’avenir, tout cela est dicté par l’histoire. On ne peut pas préparer le futur sans comprendre notre histoire, et sans être rigoureux et discipliné sur ce que nous choisissons de préserver pour nos enfants. C’est quand je suis allé au Bihar que je me suis rendu compte combien l’histoire de ma famille est douloureuse et marquée par la misère. Il m’a fallu me plonger dans cette histoire pour transmettre à la nouvelle génération toute la valeur et la richesse de ce que nous avons reçu en héritage.

L’île Maurice fut d’abord occupée par des Hollandais. Elle devint ensuite un territoire français et dès cette époque le brassage des cultures se faisait avec en plus des Français présents, les esclaves et artisans venus d’Afrique, de l’Inde et même de Chine. Cette situation s’est maintenue pendant la période coloniale anglaise.

Les conditions de travail aux champs furent très dures, que ce soit pour ceux qui connurent les conditions de l’esclavage comme pour ceux qui vécurent l’engagisme. Les leçons qu’on en retiendra pourtant c’est que malgré la pauvreté de leurs situations de départ, avec leur courage et leur persévérance, ils se sont installés dans le pays, ils ont acquis des terrains et ont posé les jalons de la société mauricienne et de sa prospérité.

Indentured Labourers - Indian Immigrants - 1930s

Indentured Labourers – Indian Immigrants – 1911

Aujourd’hui en 2014, les situations d’esclavages et d’exploitation du travail des hommes est toujours une réalité dans le monde. C’est également le cas à Maurice, du moment que des êtres humains sont contraints de soumettre toute leur existence pour un salaire qui les maintient dans la pauvreté, quel que soit leurs origines historiques, ou encore qu’ils soient des travailleurs mauriciens ou étrangers. L’Aapravasi Ghat est l’endroit qui symbolise le mieux tous ces enjeux car c’est là qu’est arrivée à Maurice toute la main d’œuvre servile. Ce bâtiment s’appelait autrefois le Port Louis Depot.

Le nom du Port Louis Depot évoluera au fil du temps pour devenir Immigration Depot puis Coolie Ghat. Il sera visité le 4 juin 1970 par Indira Ghandi et c’est en 1980 qu’il sera appelé Aapravasi Ghat. Aapravasi voulant dire « immigrant » et Ghat désignant le lieu où la terre et l’eau se rencontrent. Les nouvelles générations l’appellent également le « Ghat of destiny ». En 1987 il est déclaré « National Monument » et il sera proclamé World Heritage Site par l’UNESCO en 2006. Cet endroit est en effet le lieu emblématique qui vit l’un des plus importants épisodes migratoires du XIXe siècle. Le gouvernement Britannique avait décidé à cette époque de mettre en place le système du Indentured Labour pour permettre que soit recrutée une importante quantité de main d’œuvre en Inde pour être utilisée dans les colonies de l’Empire à travers le monde.

Le 1er aoüt 1834, le navire Sarah débarquait au Dépôt de Port Louis un premier convoi de 39 travailleurs engagés en provenance du sous-continent indien. Cependant, une présence indienne existait à Maurice dès l’époque française mais sous d’autres conditions de travail. En 1806 on comptait ainsi 1600 esclaves indiens, cuisiniers et charpentiers marine originaires de Pondichery et du sud de l’Inde.

Arrival of Indentured Labourers on Ship in Mauritius

Arrival of Indentured Labourers on Ship in Mauritius

Le 2 novembre 1834, le navire Atlas débarque à Maurice 36 autres laboureurs indiens, la majorité en provenance du Bihar, et qui furent affectés principalement la propriété de Antoinette, dans la région de Piton. On les surnommait les « Girmitia », ce qui voulait dire « terms agreement ». Ils avaient embarqué au port de Calcutta Bhawaneepore, à proximité de la tour de l’horloge (Ghanta Ghar/Clock Tower). Le trajet durait alors 39 jours pour arriver à Maurice. On appelait ces navires « Coolie Ships ». J’ai pu retracer quelques noms des navires : Nurbeda, Prince Albert, Sameer, Charlotte, Faize, Roubanny, Suzanne, Mohamode, Swallow, Faizal, British Peer, CodaBaksh, Lady Barlow, Lord Milton, Maryam, Lady Sophia, Punjab, Helene, Joakim, Lady Merville, Futtah Salaam, Sir Robert Seppings, GrayHound, Anna Roberta. Le 11 janvier 2011, les gouvernements de Maurice et de l’Inde érigèrent un monument au Kidderpore Depot pour commémorer ce lieu d’embarquement.

Le 1e février 1835, la pratique de l’esclavage qui existait depuis plus de 200 ans est abolie à Maurice. De 1834 à 1924, on verra alors 451 746 travailleurs engagés (Girmitia) quitter leurs familles et leurs villages, quitter l’Inde en s’embarquant dans des ports comme ceux de Calcutta, de Mumbai ou de Madras pour venir dans un pays dont ils n’avaient encore jamais entendu parlé. Ils partaient dans l’espoir de trouver ici des conditions de vie meilleures. Ils étaient engagés sur un contrat de 5 ans pour venir à Maurice travailler dans les champs de cannes ou dans les sucreries.

Indian Immigrants Coming to Mauritius on Ship

Indian Immigrants Coming to Mauritius on Ship

Chaque mois, 1 roupie était déduite de leur salaire pour financer le voyage du retour. La somme économisée leur était rendue s’ils faisaient le choix de rester.

Le trajet pour Calcutta coutait £3.45 Shilling, pour Madras £2.19 Shilling et pour Bombay

(Mumbai) £3.18 Shilling. Le salaire était de Rs 5 par mois, auquel on y ajoutait 2 lbs de riz, ½ lb de Dhal, 2 oz d’huile de coco, 2 oz d’huile de moutarde et du poisson salé. A chaque fin d’année, leur employeur devait également leur remettre 1 chemise, 2 draps, 1 veste, 1 bonnet, 1 dhoti (langouti) – ce qui représente 8 yrds de kaliko et 2 couvertures. Les femmes et les enfants recevaient une ration moindre.

Certains payaient leurs passages pour venir à Maurice et étaient considérés comme « Non indentured immigrants ». 157 539 immigrés indiens sont ensuite retournés en Inde. Ceux qui sont restés ont bâti leurs rêves et leurs visions. Par leurs engagements et leurs luttes, ils ont participé à la construction d’une nouvelle nation capable de gouverner elle-même sa destinée, afin que leurs enfants ne connaissent pas les mêmes épreuves. Nous sommes fiers aujourd’hui de cette nation vivante, qui a été plantée sur cette terre par de nombreuses épreuves et qui en fleurissant fait de nous tous aujourd’hui des Mauriciens.

La diaspora indienne a été un important phénomène migratoire au cours du XIXe siècle. Aujourd’hui on retrouve 25 millions de personnes d’origine indienne répartis dans 130 pays du monde et qui sont représentées par le GOPIO (Global Organisation of People of Indian Origin). Ces pays sont entre autres l’Afrique du Sud, Fiji, les Maldives, Singapour, Trinidad et Tobago, la Guyane, la Martinique, la Barbade. Tous ces descendants peuvent aujourd’hui souscrire au PIO (Persons of Indian Origin) ou au NRI (Non Resident Indian). Il est également possible d’obtenir la nationalité indienne, comme le rappelait M Modi, premier Ministre de l’Inde, lors de sa récente visite en Amérique.

On retrouve cette grande aventure des peuples, des cultures et des migrations tout au long de l’histoire de l’humanité et dans toutes les régions du monde. Mais ce qui s’est passé à Maurice est particulièrement riche et intense parce qu’une grande diversité de cultures et de civilisations a été rassemblée dans une très courte période, sur une petite île vierge au début de l’ère industrielle et au début de la mondialisation. Cela dit beaucoup de chose sur notre époque et sur nos sociétés modernes. Ce qui nous pousse à nous interroger sur nos origines, sur ce que nous faisons à Maurice et sur le sens de notre action.

Indian Immigrants Women - Femmes Immigrants Indiennes - 1934

Indian Immigrants Women – Femmes Immigrants Indiennes – 1934

Il nous faut également comprendre comment fonctionne notre société et comment nos ancêtres vivaient-ils autrefois, leur nourriture, leur habitation ; et comment vivaient-ils avec les autres habitants ?

Tous les immigrants indiens se voyaient attribués un numéro. Mon arrière-grand-père, Chotoo par exemple portait le matricule d’immigrant numéro 148780. Si un bébé portait le numéro de la famille suivi de 1/2, cela voulait dire qu’il était né sur le bateau. On l’appelait « Jahaji », voulant dire « Born on a ship ». On appelait le garçon Samundar et la fille Samudri. Les Anglais qui étaient peu habitués faisaient de nombreuses erreurs dans l’écriture des noms, par exemple :

Jayshree devenait « Joy sorry »
Ismaël – « Smile »
Vedkumaree – « Vedco Marie »
Pateeraj – « Paturage »
Treebohun – « Tireborn »
Baunsingh – « Bon chien »
Jugdish – « Jacques-Dish »
Jaikisoon – « Jackson »
Shivraj – « Siraze »
Harrychand – « Harrison »

Mais de nombreux mots du Bhojpuri « motiah/Calcuttea », qu’on s’en sert encore à Maurice comme Belna, Poukni, Chowki, Janta, Tawa, Kutcha, Roti, Dalpuri. Mais également dans le langage courant : Anou al chaké, Bokou douk sa, Ena goon la, Bane agram bagram, Li pe fer gamat, Eta Manaye (manav), etc.

Les conditions de vie des Indentured Labourers ont ému de nombreuses personnes qui s’opposèrent à cette politique. En 1924, ce système d’immigration des indentured labourers fut aboli, avec l’aide de personnalités comme Kunwar Maharaj Singh.

Pour commémorer le 180eme anniversaire de l’arrivée des immigrants indiens, le musée de la petite collection à Rose-Belle sera ouvert pour le grand public où il y aura une grande collection d’objets anciens qui racontent notre patrimoine une façon de garder le passé au present afin que le futur s’en souviendra. C’est l’objet du quotidien et temoignage de l’histoire. Des objets qui attirent la curiosité du passé.

En ce jour du souvenir, je souhaite rendre également hommage à :

Frères Bissondoyal
Anath Beejadhur
M. Hazareesingh
Deepchand Beehary
Bikramsingh Ramlallah
Heeralall Vaghjee
Ramkhelawan Boodhun
Jaynarain Roy
Mounimdranath Varma
Sharma Jugdambi

Et d’autres auteurs, historiens, et écrivains qui ont déjà fait plusieurs récits sur l’immigration indienne de qui j’ai appris énormément.

« Quand l’arbre oublie ses racines, le tronc commence a pourir ».
Goorooduth Chuttoo
16.10.14

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